Témoignage du Capitaine GOURDIER                                             

 

Affecté au 8ième RPIMa comme commandant d’unité de la compagnie de réserve, j’ai été désigné pour occuper le poste d’officier de liaison auprès de l’ Armée Nationale Afghane (ANA) au sein du GTIA de la Kapisa pour le 2ième semestre 2008 : la Task Force Chimera (sous commandement américain de la 101ième Airborne).

Préparation au départ

Alors que depuis plus de 10 ans la réserve du 8ième RPIMa, sa 5ième Cie en particulier, travaillait sa montée en puissance opérationnelle, une « mission historique » se présentait au régiment : l’ouverture d’un théâtre hautement opérationnel en Afghanistan.

Dès le départ, la réserve était directement associée à cette mission avec la perspective, comme pour la plupart des OPEX du régiment, de voir un petit groupe de partants. Bien que cette fois-ci le contexte était différent avec une mission particulièrement rustique et dangereuse, notre chef de corps le colonel ARAGONES décidait de nous accorder sa confiance.

Coordination avec l’ANA

Pour préparer au mieux le départ pour cette mission, la 5ième Cie travaillait selon deux axes d’effort :  

  • Information des volontaires, en insistant sur les risques et la durée de la mission.
  • sélection et préparation rigoureuse des personnels aptes au départ.
Dans une première phase, la préparation s’effectuait à un niveau compagnie afin de contribuer aussi à poursuivre la progression du niveau opérationnel de l’UIR dans un contexte motivant. Puis, en se rapprochant de l’échéance, elle est devenue spécifique (secourisme combat, cours IED, CENTAC régimentaire, qualification VAB, stage de remise à niveau Trans, etc.). Celle-ci ne concernait plus que les partants et était fonction des futurs postes occupés.
Après avoir présenté au chef de corps une liste d’une vingtaine de personnels « aptes au départ », c’est au final 8 réservistes qui étaient désignés sur des postes individuels dont 6 de la 5ième Cie. Leurs fonctions allaient du commandant en second du GTIA au « GV feu » en compagnie de combat en passant par le major de camp, 2 auxiliaires sanitaires, un conducteur VL et un conducteur PL.
Mise en place du GTIA

Coordination avec la Police afghane

Je laissais les commandes de ma compagnie à mon adjoint pour intégrer l’EMT du régiment avec un départ sur la VAM du 1er juillet en direction de Kaboul (Voie Aérienne Militaire). A notre arrivée, nous passions quelques jours sur la base américaine de BAGRAM pour une période de formation US (secourisme, risques IED, embarquement/débarquement des hélicoptères US, etc.). Ces formations présentaient surtout l’avantage de se plonger dans le contexte du théâtre et de mieux appréhender certains modes opératoires américains car la « vraie préparation » était heureusement derrière nous !
Après cette séquence, nous partions enfin pour notre premier déplacement sur le sol afghan en direction de notre base en Kapisa. Une rame de plusieurs dizaines de véhicules était formée afin de transporter un maximum de matériel sur la FOB. Le trajet de près de 3 heures de pistes passant par quelques cols tortueux, nous permettait de découvrir l’environnement de nos prochaines missions : un décor essentiellement minéral avec des zones vertes en fond de vallée. La population très rurale semblait vivre dans le plus grand dénuement (constatation que nous continuerons par la suite).

A notre arrivée, nous avons découvert les difficultés du contexte de notre engagement : les travaux d’installation à poursuivre tout en débutant au plus vite les opérations. A côté de cela, l’ouverture du théâtre impliquait de mettre en place tous les rouages du fonctionnement du GTIA dans un contexte interarmes, interarmées et international. Mais face à ces difficultés, l’excellente préparation effectuée pendant plusieurs mois par le régiment et ses renforts a permis de trouver rapidement le rythme de travail.

L’officier de liaison ANA

En tant qu’officier de liaison j’étais chargé d’effectuer la coordination entre les unités françaises et les unités afghanes présentes sur la même zone. En effet, ces unités bien que co-localisées n’étaient pas sous le même commandement, mais gardaient des objectifs et des missions communes. Le rôle de l’officier de liaison ANA s’articulait selon deux composantes : la planification des patrouilles et opérations communes et la coordination sur le terrain des unités.

Le travail auprès de l’ANA se faisait par l’intermédiaire de leurs mentors US, les ETT. Issus du corps des Marines, ils avaient pour tâche de faire progresser l’ANA dans ses savoir-faire (organisation des chaines de commandement et planification). Dès le départ et tout au long de la mission la collaboration tripartite s’est opérée dans les meilleures conditions. Dans le même temps, un travail de communication avec les afghans (militaire et civil) nous a permis de faire comprendre la mission des unités françaises : c’était bien en tant que force d’assistance à la sécurisation et à la reconstruction de l’Afghanistan que nous nous positionnions. Notre discours associé à un mode opératoire bannissant tous risques de dégâts collatéraux s’est vite révélé payant, l’ANA a ainsi accordé toute sa confiance aux unités françaises pour une saine collaboration. Cette confiance gagnera tout au long du mandat la population civile appuyée par une aide médicale permanente et des actions CIMIC. Ce succès pouvait se mesurer, entre autre, par la remontée de renseignements civils de plus en plus précis sur les activités des insurgés.

Patrouille avec l’ANA

Dans la FOB, l’action de l’officier de liaison consistait à effectuer un suivi permanent de la planification des patrouilles françaises et afghanes afin de disposer d’une situation claire des unités amies sur le terrain. Sur le terrain, l’objectif était d’éviter des manœuvres pouvant devenir fratricides. Ainsi, dès que des patrouilles de l’ANA se déroulaient dans le même compartiment de terrain que celles des unités françaises, l’officier de liaison devait pleinement jouer son rôle. C’est intégré dans les patrouilles ANA auprès des chefs et au côté des ETT qu’il assurait l’interface avec les unités française. Le contexte de la mission nous imposait d’évoluer dans un environnement particulier offrant de multiples occasions de perdre le contact visuel entre amis :

  • Un terrain très compartimenté : constitué dans les vallées par une succession de bosquets composés d’épaisse végétation et partout des murs de terre séparant les parcelles. Autant d’éléments propices au camouflage de l’ennemi, masquant la progression des unités amies tout en rendant les parcours tortueux avec des directions de progression difficile à suivre.
  • Un ennemi extrêmement mobile : difficile à localiser, ne se découvrant la plupart du temps que pour des tirs sporadiques ou pour une action brève et brutale (embuscade). Le reste du temps les insurgés se fondaient à la population afin d’éviter d’être dévoilés.

Malgré ce contexte difficile, le travail rigoureux de planification, de suivi et de coordination a permis d’éviter pendant ce mandat tout tir entre les unités de l’ANA et les unités françaises. Il est à noter que l’utilisation généralisée de l’outil du combattant moderne qu’est le GPS, a été une clef importante de ce succès.

L’Officier conduite de l’EMT

Après deux mois de cette expérience terrain, je changeais d’affectation pour une fonction différente, mais tout aussi passionnante, en devenant officier conduite à l’état-major du GTIA. Tout en m’éloignant du terrain mais en restant au cœur des opérations, je gagnais en « hauteur » sur les événements.

Participation à une Shura

L’officier conduite s’occupe en permanence du suivi des opérations du GTIA en faisant appliquer les ordres du chef. La gestion de tout ce qui se faisait au niveau de la Task Force passait donc par ce poste : les patrouilles, les convois, les rotations d’hélicoptères, les tirs d’entraînement, etc. Le suivi des opérations incluait aussi la coordination avec le PC US pour la partie appuis.

En effet, un détachement de liaison de l’US Army était intégré à notre EMT pour gérer les appuis aériens, la coordination de leurs unités de passage dans la zone et les CR en temps réel vers l’échelon supérieur US.

 

L’officier conduite avait la charge de la rédaction de la partie messagerie rendant compte aux échelons supérieurs de l’activité de la Task Force (CRQ, SITREP, SIGACT, etc.). Il participait quotidiennement  par visioconférence à un point sur les activités de la région (RCE) avec l’échelon supérieur US. Enfin l’officier conduite effectuait la synthèse et la préparation des ordres pour les opérations de niveau GTIA.

 Pendant ce mandat, nous avons pu malheureusement mesurer le risque de notre engagement par la perte de 3 officiers de l’ETT/USMC après l’explosion de leur véhicule sur un IED. Un hommage doit être rendu à ces camarades tombés au champ de bataille ainsi qu’aux blessés marqués dans leur chair. Tous ont accepté ce sacrifice pour servir nos valeurs, pour servir leur pays.

Pour la réserve, le bilan de cette mission est très positif. Fabuleuse expérience humaine, la réserve opérationnelle, totalement intégrée dans le GTIA, a pu démontrer qu’avec une bonne préparation, elle avait la capacité de tenir certains postes dans un engagement de haute intensité. Mais en tant que volontaires dans la réserve et soldats avant tout, nous avons eu la chance de pouvoir réaliser le fondement même de notre démarche : pouvoir servir notre pays et cela avec le plus haut niveau d’engagement possible.

Je tiens encore à remercier notre chef de Corps de nous avoir donné cette chance.

IED = Improvised Explosive Device (engin explosif improvisé)
FOB = Forward Operating Base (base opérationnelle avancée)
ETT = Embedded Training Team (équivalent OMLT)