A la veille de quitter notre belle Ecole, je voudrais vous proposer une courte présentation de ce que pourrait être l’infanterie de demain, ou plus modestement de la façon dont je perçois ses possibles évolutions.A l’horizon de 2020 et alors que l’infanterie restera sans doute encore particulièrement sollicitée tant pour des opérations extérieures qu’intérieures, je vois trois défis majeurs pour notre arme.
Le premier défi est un défi organisationnel : réaliser le nouveau modèle de RI Au contact que le CEMAT a officiellement avalisé avec ses 5 compagnies de combat et sa compagnie d’appui. Pour cela, nous devrons réussir tout d’abord le pari du recrutement et de la fidélisation. C’est un enjeu de taille car avec les 26 compagnies de combat supplémentaires en cours de montée en puissance, l’infanterie accroît son volume de compagnies de combat de plus de 35% auxquelles s’ajoutent 20 compagnies d’appui. L’autre pari est celui de la formation et concerne directement l’école : à effectif d’encadrement au mieux constant, la division des lieutenants s’accroitra durablement de près de 30% (140 lieutenants annoncés en septembre 2016) et le tronc commun de la FS1 fera plus que doubler. La Maison Mère est d’ores et déjà en ordre de bataille pour encaisser à l’été cet accroissement des flux de formation mais le chantier reste de taille.
Le second défi est capacitaire et recouvre deux champs différents : les équipements et la Numérisation de l’Espace de Bataille (NEB) SCORPION. De manière générale, nous sommes en bonne voie s’agissant des équipements. Les cibles VBCI (qui a succédé à l’X10P) et FELIN sont atteintes et nous voyons apparaitre à moyen terme le GRIFFON (le successeur du valeureux VAB), la roquette NG (successeur de l’AT4 voire du LRAC pour les plus anciens…), le MMP (successeur du MILAN) et l’AIF (successeur du FAMAS)… Une cible d’un véhicule polyvalent, le VBMR léger, se dessine également. Nous nous efforçons d’identifier et d’anticiper à l’école les conséquences en formation, organisation et doctrine que ces équipements nouveaux induiront. Mais le véritable défi capacitaire sera pour l’infanterie la nouvelle numérisation de l’espace de bataille qu’annoncent SCORPION et des SICs nativement interarmes. Cet enjeu est d’abord d’ordre technique pour assurer la continuité embarqué / débarqué du combat de fantassin. Il réside également en amont, et pour nous Fantassins, en une expression claire, suffisante et réaliste de nos besoins en numérisation : jusqu’à quel niveau hiérarchique descendre la transmissions de données à l’heure des objets connectés mais sans tomber dans le « syndrome du Concorde », une merveille technologique déconnectée des besoins. Il est enfin d’ordre tactique. Qu’attendre de ce que certains appellent le « combat collaboratif » futur ? Demain chaque pion tactique sera à la fois un élément d’un réseau « horizontal » d’informations instantanées accessibles à tous et un maillon inscrit dans une chaîne d’ordres hiérarchique. Cette instantanéité et simultanéité de l’information entraînera sans doute de profonds changements. Mais comment tirer les avantages de la rapidité d’action rendue possible par une information aussitôt distribuée et l’efficacité d’une chaîne hiérarchique, plus longue à se déployer mais, in fine, responsable ? Sans doute par plus de décentralisation de la décision, d’autonomie rendue aux subordonnés, de coordination entre échelons voisins…
Voilà ce que nous devrons défricher sans perdre néanmoins de vue deux éléments clés. Si l’infovalorisation peut nous conduire vers plus de souplesse et d’autonomie tactiques, elle peut tout autant, ne soyons pas naïfs, faciliter un sur-contrôle de l’échelon supérieur et un micro-management écrasant. A nous de trouver le bon équilibre. Par ailleurs, la numérisation ne permet de restituer qu’un acteur et demi des trois acteurs clés de tous conflits. L’ami le sera parfaitement grâce à un système de type Blue Force Tracking par localisation GPS. L’adversaire le sera aisément s’il est conventionnel mais qu’imparfaitement s’il est irrégulier ou asymétrique. Quant à la population et hormis sa représentation quantitative, elle risque de n’être que sommairement figurée. L’essentiel, c’est-à-dire l’immatériel, échappera vraisemblablement à toute numérisation. Aussi, le soldat débarqué au contact dans la durée avec les populations, et donc le fantassin au premier chef, resteront-ils des capteurs, essentiels parce qu’humains, de toute situation opérationnelle.
Le troisième défi enfin, est celui de l’employabilité de l’infanterie. A l’horizon de premier GTIA SCORPION (2021), l’infanterie demeurera une infanterie homogène, comme elle l’est aujourd’hui, en ne conservant une différenciation que par ses porteurs (VBCI / GRIFFON) et ses milieux d’engagement. En revanche, elle devra poursuivre sa polyvalence pour continuer à s’adapter à l’évolution des menaces. La formation interarmes restera la clé de voûte de cette polyvalence. L’école du combat interarmes (ECIA), qui sera créée cet été, devrait apporter un plus en ce domaine et c’est tout l’enjeu. Mais la polyvalence est bien sûr multiforme. Souplesse pour faire face à l’imprévisibilité et la diversité des crises, valorisation de nos capacités d’emploi sur le territoire national, développement des Section d’Aide à l’Engagement Débarqué (SAED) et des sections de Tireurs d’Elite Longue Distance (STELD), maîtrise des nouveaux équipements, aptitude à l’aéromobilité, capacité identifiée pour l’assistance militaire opérationnelle… sont autant de chantiers à poursuivre. Si l’ambition est forte, les contraintes du moment le sont tout autant et avant tout celle du temps disponible pour mener un entraînement de qualité. Mais l’enjeu reste bien de demeurer la Reine des Batailles.
Tels sont à mes yeux les principaux enjeux et perspectives pour l’infanterie de demain. Je ne peux toutefois pas terminer ce rapide tour d’horizon sans vous confirmer que notre Musée sera dans les années à venir (2019-2020) enfin recréé à Draguignan au sein d’un pôle muséal interarmes avec nos camarades Artilleurs. Voilà une autre bonne nouvelle de se réjouir. Et n’oublions pas que l’optimisme, comme bien d’autres choses, est avant tout une affaire de volonté. Et lorsqu’il y a une volonté, il y a un chemin… et même deux : celui de la modernisation de notre belle Infanterie et celui de la résurrection de Notre beau Musée !
Général de Brigade Emmanuel MAURIN
Commandant l’Ecole de l’Infanterie